Interview Philippe Boisnard - "L'Odyssée" - 5 et 6 octobre - Saulieu



Interview Philippe Boisnard – 24 septembre 2012


Nous avons rencontré virtuellement, Philippe Boisnard qui interviendra prochainement à Saulieu (Voir notre article).. découvrons ce qu'il va nous présenter avec deux autres artistes locaux investis dans l'Art et ses nouvelles technologies...


Auxois Events

Bonjour Philippe, tu vas présenter «L’Odyssée » les 5 et 6 octobre prochains au cinéma l’Etoile de Saulieu en compagnie de Jean Voguet, compositeur de musique acousmatique et directeur du CRANE de Chevigny, et Estelle de Montalembert, chorégraphe et interprète.
Peux-tu nous présenter votre projet ?

Philippe Boisnard

« L’Odyssée » est une création qui s’est faite à l’origine avec Jean Voguet, sur un duo d’images et sons, sur ce qu’on appelle les nouvelles formes multimédia ou nouveau Vjing : tout ce qui est de l’ordre de la vidéo est généré par l’analyse du son, ce qui donne un paysage sonore. Le visuel s’inscrit comme figuration de l’onde sonore. Ce qui nous a intéressés en fin de compte c’était l’univers que j’avais des lettres, le travail très graphique sur le langage, et comment on pouvait arriver à une synesthésie entre les deux, c’est-à-dire cette forme de dialogue, d’interaction complète.

une circum-navigation

Alors Pourquoi l’Odyssée ? Jean est parti sur des stations comme les stations d’Ulysse. Quand on reprend « l’Odyssée » d’Homère, ce sont des stations successives. C’est ce qu’on appelle une circum-navigation, une circulation circulaire, puisqu’il part d’un point et revient à son propre point : Ithaque- Troie – Ithaque. Chaque station est une aventure du sens, que ce soit avec Nausicaa, que ce soit avec le Cyclope, il y a une tonalité. Cette tonalité c’est ce qu’il a pu rechercher au niveau sonore avec des dimensions très spécifiques sur chacune des stations ; et quand on était tous les deux il s’agissait de créer ce corollaire de l’image. Après on a changé le travail : On est passé plus vers l’abstrait au niveau visuel et c’est ce qui a été développé pour le Festival International de Musiques Actuelles de Victoriaville (FIMAV) au Canada. 
 
"L'Odyssée"

  "On vise l’émotion sensorielle"
Et il y a eu la rencontre avec la danse avec Estelle de Montalembert. 
Cette « odyssée » c’était non plus simplement le son qui s’inscrit dans l’image, mais d’un coup, c’était le mouvement de la danse qui devait s’inscrire aussi dans l’image. L’image était cette interface entre le son et le mouvement du corps entre deux formes de corporéité sensorielle : le corps sonore et le corps biologique. 
Estelle de Montalembert, quand elle danse, est captée par une kinect et il y a pas mal de dispositifs différents : elle peut danser avec elle-même : elle fait une chorégraphie avec son clone. L’analyse de son corps permet de bouger des modules graphiques…Tous les éléments graphiques sont manipulés par ses mouvements, elle est manipulée par la danse qui renvoie un feedback dans l’image, etc... 

"L'Odyssée"
On a vraiment cet enchevêtrement de ce qu’on pourrait appeler « le spectacle total » puisqu’on est à la fois dans une poétique très lettriste (on a gardé le côté figuratif), on a le son, la danse, l’art numérique programmé. Ce qu’on essaie de faire avec le spectateur, c’est de l’emmener dans cette navigation. On vise l’émotion sensorielle. On n’essaie pas de montrer le processus informatique. On est vraiment dans un art illusionniste grand spectacle, je le défends fermement. De l’autre côté, notre problématique est vraiment de se poser la question : comment on pourrait réécrire cette "Odyssée", maintenant, comme James Joyce l’a réécrite à un moment donné lui aussi. On l’a récrite avec les moyens actuels.

AE : Ton rôle durant cette performance est de mettre en relation la musique, vidéo et danse, par une interface de liaison programmée en PURE DATA.
Peux-tu nous expliquer en quelques mots comment cela fonctionne ?

PB : C’est un logiciel de programmation comme il en existe plein (le plus connu actuellement c’est Processing) : on met du langage dans une interface. Pour bien comprendre ce que c’est PURE DATA, il faut revenir à l’intuition qu’il y a eu à l’IRCAM avec Miller Puckette (Américain invité à l’IRCAM dans les années 80). La question qu’il s’est posé : comment introduire l’informatique à des musiciens qui ne sont pas du tout informaticiens ?
II a inventé Patcher : l’idée, c’est de dire que les musiciens ont l’habitude d’une chose : avoir une boite d’effets, une pédale par exemple de guitare, de tirer un câble vers une autre pédale : Ils savent très bien tirer des câbles et le sens de diffusion électrique. Le langage de programmation Pure data fonctionne sur cette intuition analogique : c’est ce qu’on appelle un langage de programmation modulaire : au lieu d’écrire sur des lignes, on crée des petites boites qu’on va relier avec des fils.
 In fine, on en arrive à des complexités algorithmiques plus faciles à appréhender pour ceux qui sont dans le visuel plus que dans le pur logique : il y a cette capacité à faire des cartographies très complexes d’algorithmes et des enchevêtrements. Pour ma part j’arrive à programmer dans chaque sphère de langage. Mais pour moi, avec PURE DATA, au lieu du C++, surtout avec les ordinateurs actuels, on a une rapidité de programmation que l’on n’a pas ailleurs qui permet d’intégrer une réelle complexité.

La Kinect au service de l'Art...
  Pour revenir à ta question : Ici, la vidéo ne préexiste pas, ni au son ni à la danse. Ce n’est que des équations mathématiques et on n’est que sur de l’algorithmie pure. Et même les formes 3D : ce sont des tableaux de chiffres qui donnent une représentation 3D. Ce ne sont que des modules de programmation, déclenchés, nourris aussi bien par le volume que par les fréquences sonores, les mouvements,… et quand je dis les mouvements, c’est une analyse pour la danse avec la Kinect. Une analyse de 25 points du corps qui vont permettre les torsions graphiques.

AE : Tu diriges le centre DATABAZ à Angoulême avec Hortense Gauthier, qui effectue également un travail poétique numérique,  un centre d’art contemporain…

PB : DATABAZ est un centre « littérature et art numérique », ce qui apparait comme un grand écart. On provient vraiment de la littérature et de la poésie.
Ce qui nous a assez rapidement intéressés, ce sont les liaisons qui ont été faites historiquement dès les années 60-70 entre l’informatique et le texte : ce qu’on appelle les e-poetry ou poésies numériques. Il y a eu un parcours qui s’est fait, on n’a pas commencé immédiatement. Mais on se disait la programmation qu’on aimerait faire : les gens qui explorent le travail inter-média, permettre aussi à des gens de créer certaines formes,…
Je me suis spécialisé dans le code, depuis 2008 je n’écris pratiquement plus à côté.
On accueille ici des soirées « poésie », avec un festival Inton’Action, axé sur la poésie sonore, soirées « Art numérique », avec des œuvres qui interrogent la question du langage (on aura d’ailleurs en janvier une grosse soirée sur le langage économique)… Et à côté on accueille des résidences. Il y’en a une qui commence justement ce matin, avec Lionel Palin qui est arrivé hier soir, et ses deux acolytes qui arrivent dans la journée. Cette résidence va durer une semaine. On est 3 centres du Poitou-Charentes à accueillir ces artistes. On s’inscrit dans un projet régional. On essaie de développer un peu cela. 



Politiquement, DATABAZ est un centre autonome sous le même mode que le CRANE : on est propriétaire du lieu, on a des subventions, mais on a crée une économie. Comme je suis programmeur pour le théâtre ça permet de rentrer beaucoup de fonds pour faire fonctionner le centre. On a vraiment une autonomie et on programme ce-qui-nous-plaît, on n’est pas tenu par d’autres stratégies.

AE : Comment tu es arrivé à travailler sur les arts numériques (rencontres, moments clés) ?

PB : Ca vient de la poésie, et plus qu’une rencontre c’est une question de rapport au langage. La poésie qui m’intéressait c’est celle, pour reprendre Bernard Heidsieck, qui « arrache[r] le langage de la page » : c’est la poésie sonore, la spatialisation en son. C’était l’image (j’aime le cinéma, la vidéo) : « arracher le langage » de l’immobilité de la page et le faire fonctionner dynamiquement. J’ai commencé par la vidéo, le compositing sous After Effects, mais s’est posé très rapidement cette question : Une fois que c’est fixé, c’est fixé. On a quand même une autre page qui apparaît : d’où la nécessité de la programmation. Assez tardivement ; je commence à programmer sous PURE DATA en 2006-2007. De là je découvre un univers complètement fou qui fait que je me mets à programmer et à ne faire que cela.

Et puis il y a eu des rencontres : 


"L'Odyssée"
La première grande rencontre détonnatrice de PURE DATA : J’avais un texte adapté à la Filature de Mulhouse pour la compagnie Espaces indicibles. J’étais allé voir la première. J’étais sur un projet de perf, et on utilisait de l’analogique, mixette vidéo. Tout était fait d’abord sur After Effects, on mixait en temps réel. Et mon problème : j’étais invité à un festival et j’avais mis sur ma fiche que tout était programmé. Et là, le metteur en scène Georges Gagneré, qui est un espèce de mec hyper génial, un des précurseurs du théâtre numérique, me dit : « tu devrais te mettre à PURE DATA, avec ton cerveau, ça devrait le faire ! » et donc je mis suis mis timidement et voilà !

Et la deuxième grande rencontre : en 2008, on avait été invité par la « convention PURE DATA » à Sao Paulo pour représenter « Kleine Machine » avec Hortense Gauthier. Là, Je rencontre deux des programmeurs français importants qui ont le duo chdh, Cyril Henri et Nicolas Montgermont et on devient ami et là c’est le cap de l’humilité : c’est-à-dire que les gens ils regardent ton programme « Ah ouais t’as fait ça, ouais, mais c’est pas bon… » Je programmais encore analogiquement avec mon crâne, et ils m’ont fait passé au stade vraiment numérique  de la programmation : Simplifier au possible en faisant des modèles très simples mais très efficaces qu’on peut récupérer : ce qu’on appelle créer des librairies. J’ai commencé à me spécialiser dans la création de librairies avec des variables très complexes au niveau algorithmique.

Ca a été mes deux moments clés. 
Festival "Les Bains numériques" 2012 

Et après c’est plus les rencontres de projets qu’on me propose, Il y a HP Process où on est deux et des rencontres de projets plus ou moins fou à faire : à chaque fois je dis oui sans savoir le faire vraiment, en ayant seulement l’intuition du possible. C’est le pari, c’est un challenge ! Ce qui nous a emmené à faire des choses : On a été pris pour le concours international d’Enghien les bains, des bains numériques en juin : on a eu le prix ARTE Creative avec des Smartphones… les gens étaient dans la ville… il y avait des QRcodes… ils pouvaient envoyer directement dans l’installation des toponymes de la ville… c’était mappé en temps réel sur les gens qui se voyaient par des caméras… et eux-mêmes étaient diffractés en nuages de lettres… A l’origine quand on a fait le dossier, je n’avais pas fait le moindre « algo » de traitement internet… et ça a été vraiment de se dire «  ça doit fonctionner ». Après c’est l’aisance de dire quel est le vocabulaire qui me manque, et d’apprendre ce vocabulaire. C’est une exploration, une autre façon d’écrire, une autre langue vivante, c’est une autre façon de penser le monde et les causalités. Pour moi, je développe depuis 3 ans le concept de Poésie Action Numérique PAN, c’est-à-dire une interrogation d’une nouvelle causalité par le langage, comment on interroge de nouvelles causalités du corps, de la voix, des éléments. Ce sont les inter-acteurs qui nous ont permis ça : d’autres rapports physiques que le simple analogique.




AE : D’autres projets sur l’Auxois et Jean Voguet, directeur du CRANE de Chevigny : 

 
 PB : Je ne sais pas…
Ce qui est fort avec Jean, c’est qu’on ne se donne pas d’exigences pour avancer.
On s’est bien entendu, on a une forme de solitude qu’on aime bien avoir chacun de notre côté.
Sur l’Auxois, peut-être des choses se feront. J’avais beaucoup aimé lorsque j’avais été invité à l’Eté des Arts, avec le collège de Montbard, sur Les portraits de poète. Un Workshop de 2 jours, ca avait été super, si ca se refaisait là-bas, pourquoi pas ? ...
Mais pour l’instant les horizons se portent ailleurs et notamment avec HP-Process où on a une grosse expo au Japon, au théâtre, la veille je serai à Toulon, pour la pièce l’Argent de Tarkos mise en scène de Anne Théron, qui était programmé à la Gaieté Lyrique à Paris jusqu’à hier soir, la tournée commence… pas de dates prévues pour l’instant dans la région.






Retrouvez Philippe Boisnard les 5 et 6 octobre à Saulieu pour une rencontre "IRL" ! (In Real Life - dans la vie réelle)

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